« La beauté est aux choses ce que la sainteté est à l'âme ». (Simone Weil).
La beauté témoigne que dans la matière s'incarne une pensée. La reconnaître et entrer en communion avec elle, c'est, à travers les choses visibles, acquiescer à l'ordre de l'univers. La meilleure assurance que la création soit bonne, nous la trouvons dans cet accord entre notre âme et les apparences de la terre.
Beaucoup ont peine à se persuader que les choses existent, qu'elles portent avec elles un sens et qu'elles sollicitent une amitié. Pourtant, si l'on a lentement appris à vivre en paix avec l'anémone et avec le rocher, avec le terrier et avec le breuil, avec la ruine délaissée et avec la mare perdue dans les bois, si l'on a perçu les signes des matins et les appels des nuits, on se sent soi-même justifié. La beauté des choses nous procure la preuve que Dieu ne nous a pas abusés sur le prix même de notre propre destin.
« Et du ciel même nous regarderons cette terre, puisque le Fils de Dieu l'a regardée du ciel et l'a choisie pour demeure ». (Bérulle)
Je te retrouve, terre. Assis sur ma cime, tel qu'aux étés de ma jeunesse, je te retrouve. Je te retrouve, placide et respirant par tes haleines alternées, ou d'Orient ou d'Occident, comme une large poitrine; ivre de tes folles aurores ou lourde de tes moites et muets crépuscules; nimbée de ta chevelure de soleil ou ton épiderme frissonnant d'orages; alanguie enfin sous le grand sommeil du ciel et la lente caresse des constellations.
Voila sept fois dix ans que je te retrouve, aussi belle toujours, pourvu que tu ignores les hommes et sois d'eux ignorée. Chaque fois que j'émerge d'une de mes vieilles saisons, j'ai part à tes jeunes secrets et, moi qui dois mourir, j'apprends de toi qu'on ne peut mourir.
Le jour serait-il proche où je ne te retrouverai plus ?
Tu es ma patrie. Pourquoi ne serais-tu pas mon éternelle patrie ? Si de Dieu vient ta beauté et si par Dieu mes sens furent créés en accord avec ta beauté, pourquoi cet accord serait-il rompu ? Je n'aspire à aucune autre terre.
Je te retrouverai, oui, la même, ta même lumière, ta même paix, saisies dans la trame de je ne sais quelle immuable réalité, au-delà du temps. Terre, tu seras mon ciel. Je te contemplerai de ces mêmes yeux, ouverts à une vision nouvelle sur ce qui n'a plus de fin et ta même beauté sera pour jamais en moi devenue certitude, plénitude, béatitude. Oui, la même.