Sonne un clocher, dans l'heure incertaine. Que sonne-t-il ?
Il ne dit pas la naissance du jour. Il annonce qu'un jour prend fin. Un jour qui ne fut à aucun autre pareil. Un jour qui aurait pu me révéler qui je suis, si j'avais su tendre l'oreille aux secrets qu'il me murmurait.
Qui sait si l'angélus, ce soir, n'est pas celui d'une vie tout entière, d'une vie sans retour, d'une vie manquée ?
Quand je retrouve, à l'orée de chaque saison, le rocher, ami de mes attentes solitaires et que je m'allonge face au zénith dans sa concavité, j'aime sentir sous moi la stabilité de la pierre et, au-dessus, le vent qui déchire silencieusement le ciel et le disperse en lambeaux.
Il me semble alors que seul je demeure, accroché, comme sur un récif dans l'océan, à la minute immobile dans l'universelle fluidité des choses. Il me semble que j'opère fugacement en moi la synthèse de la mémoire et de l'espérance. En cette place vivent le souvenir de celui que je fus en de lointains jours, car rien du passé n'est perdu, et le présage de celui que je serai, ici ou ailleurs, car il y a au fond de moi, plus dur, moins destructible que cette roche, un principe qui transcende l'heure présente.
Est-ce ainsi que, prolongeant la mémoire dans l'espérance, il me sera donné d'obtenir, à l'instant des noces suprêmes de la mort, la mystérieuse union du temps et de l'éternité ?
Ces peupliers attisés jusqu'au faîte par un couchant mal résigné à s'éteindre, cette rivière si lente à s'écouler qu'elle semble craindre de trop tôt parvenir là où toute eau s'achève, ce silence plus lent encore que les eaux, ces premières étoiles, d'autant plus pures qu'elles devancent la nuit et d'autant plus ardentes à délivrer leur promesse, cette joie diffuse dans l'air du soir comme un inaltérable parfum, cette heure qui ne veut pas finir... est-il besoin d'une autre heure ?
Faut-il souhaiter qu'une autre terre nous réserve d'autres heures ?
Cette heure est mienne. Elle n'a pas plus que moi de raison de finir.
Est-il prouvé qu'une heure jamais finisse ?