Entre la raison et la foi, on se plaît à concevoir des échanges. Mais est-il vrai que l'une introduise à l'autre ou même la recommande ?
Si, dans l'enquête ontologique, la raison permettait toute seule d'atteindre à la vérité, de quoi servirait la foi ? Et si elle se reconnaît impuissante à éclairer le moindre des mystères, quelle assistance la raison procure-t-elle à la foi ?
Le rôle de la raison cependant peut trouver deux justifications.
La raison établit d'abord qu'au rebours de ce qu'a longtemps cru le vulgaire, les options de la foi ne sauraient être tenues pour absurdes.
D'autre part elle nous convainc que les options contraires ne jouissent nullement d'une valeur démonstrative supérieure, qu'elles ne font pas davantage leur preuve et que rien ne les autorise à prévaloir.
Si négatif que semble ce rôle de la raison, il n'est pas moins d'un secours que négligeraient à tort les apologistes de la foi.
Qui se sent le plus en défiance à l'égard de sa raison, répugne cependant à trop se sentir en désaccord avec sa raison.
La feuille entraînée par le torrent n'imagine pas d'autre destin possible qu'une course indéfinie vers la mer.
Sur la foi de l'évolution qu'ils observent au cours des deux derniers siècles (moins de deux siècles dans les mille millénaires de l'histoire de notre espèce), nos contemporains se persuadent que rien ne détournera l'humanité de la voie où elle paraît inéluctablement engagée, celle de l'exploitation scientifique de la terre.
Cependant ne discerne-t-on pas de toutes parts les témoignages d'un besoin d'échapper aux servitudes des contraintes techniques et de désavouer l'explication rationnelle du monde ? Les signes ne semblent-ils pas assez clairs d'une insurrection générale contre les tyrannies d'une société qui entend fournir à tous les moyens de vivre sans fournir à personne des raisons de vivre ? Les apôtres du progrès matériel seraient-ils sourds devant ce refus des duperies du savoir positif, cet appétit du mystère, cet appel à une félicité contemplative ?
Jadis, les Grecs aussi, avec Thalès, Anaximandre, Pythagore, Héraclite, Parménide, Empédocle, Anaxagore, avaient cherché dans la science et la raison la clef de l'univers et dans leurs applications des méthodes de bonheur. Puis vint Socrate, pour leur apprendre qu'il importe de se comprendre avant de comprendre le monde et leur enseigner les chemins perdus de la vie intérieure.
Socrate ne reviendra-t-il pas demain ?
« Avoir la foi ? »... Ai-je la foi ?... Est-ce que je crois, comme j'en fais ostensiblement profession à la Trinité, à la Présence réelle, à l'Immaculée Conception ? Et, si ma foi reste problème, de quelles tristes hypocrisies ne dois-je pas me sentir coupable au regard de qui m'observe et me juge ?
A dire vrai, ma foi ne s'embarrasse pas outre mesure de théologie. Qu'il me suffise d'observer que les enseignements de la science humaine m'offrent des mystères encore moins croyables que ceux à quoi l'Eglise me demande d'adhérer. Au surplus, ces dogmes réprouvés par la raison, beaucoup y crurent ou y croient, qui me semblent mériter plus de crédit que les sceptiques ou les négateurs. Enfin, dans le doute universel dont s'affectent toute chose et toute idée, mieux vaut placer ses convictions dans les doctrines qui confèrent à notre destin sa dignité, sa force et sa chance.
Mais là ne me paraît pas l'essentiel. En vérité, ce que je crois, ce que j'ai toujours cru, même au temps où je me tenais éloigné de l'Eglise, c'est que je ne suis pas seul dans la nuit, c'est que Quelqu'un donne attention à ma vie, un Témoin, un Ami, c'est qu'à travers lui je puisse à l'univers faire confiance et à mon existence découvrir un sens, c'est qu'en lui et par lui je suis et je serai à jamais.
Il m'arrive de m'accuser de ne pas savoir prier, tant j'éprouve de peine à sortir de moi-même, à dépasser le jour et l'instant pour accéder à une communion avec l'unique vérité et l'unique amour. Mais il m'arrive aussi de me persuader que toute ma vie est prière. Car elle s'écoule dans un permanent dialogue avec celui qui m'accompagne et qui sans cesse habite ma pensée.