La beauté de l'art roman

Les oiseaux de Silos

Santo Domingo de Silos

Les cyprès sont réputés pour leur penchant au silence. J'en sais un, cependant, qui, les matins d'avril, aime à s'égosiller par ses mille nids. Comme il a, pour logis, élu un cloître et ses douze mystères, on imagine qu'il dédie au Seigneur antiennes et psaumes.

Mais voici que se mettent à l'unisson les oiseaux des chapiteaux, ces oiseaux au long col et au plumage ocellé qui semblent venir de Tabriz ou de Nara. Captifs d'une cage de pierre, les oiseaux ne chantent que plus haut.

Mais pour qui chantent-ils ?... Pour les seules oreilles qui les peuvent entendre, des oreilles qui ne sont pas d'ici. Comme au Japon, m'a-t-on dit, le rossignol, muet la nuit, réserve ses trilles à la gloire des montantes matinées, les oiseaux romans ne se laissent écouter que dans une autre lumière.

Un chant est fait pour une unique attente et l'heure survient toujours, l'heure de grâce et de clarté où le chant rencontre l'attente à laquelle il fut promis.

(cloître de Santo Domingo de Silos)

 

La danseuse devant la vallée

On s'étonne toujours de découvrir dans un site une pensée humaine qui le contredit ou l'ignore. Cette chapelle romane ouvrait de très haut son porche sur une vallée claire, rustique et crédule, offerte ingénument aux bonheurs du matin et qui semblait attendre dans la rosée de la solitude les promesses de toujours. Or, ce porche n'était qu'un sarcasme.

Des femmes aux yeux d'insectes s'y tordaient, comme des salamandres dans la jouissance du feu. Il sortait des harpes et des trompes de pierre une musique de perdition. Les centaures, les dragons et les harpies ne se souvenaient plus que de leur animalité. Je croyais entendre circuler au long des chapiteaux un rire de défi.

Chapiteau de la danse de Salomé - Agüero

On oublie trop que ce siècle de foi fut aussi un siècle de sacrilège et d'hérésie. La fête que célèbrent, cheveux dénoués, bouches ricanantes, ces ballerines, ces acrobates, ces chœurs avinés, est la même que celle dont les chants des goliards, les Carmina burana, nous ont conservé la rauque frénésie. In taberna quando sumus, non curamus quia sit humus1

Il s'exhale cependant ici de la saison une louange qui couvre tous les blasphèmes. Une grâce faite de chants d'oiseau et de l'haleine des prés et des bois convertit la chapelle; et la danseuse d'Aguero au déhanchement pervers elle-même concourt, à sa façon voluptueuse et cruelle, sous le nom de Salomé, à l'histoire de la Rédemption.

1. « Quand nous sommes à la taverne, nous ne soucions pas de la mort. »