Sagesse et Délire des Formes est la méditation d'un médecin sur la beauté, celle de la nature et celle des œuvres de l'art : à la lumière de sa discipline, l'endocrinologie, il discerne dans la diversité des formes corporelles l'effet des sécrétions hormonales. Dans ce livre, « la science se réconcilie avec la poésie ».Voici l'introduction de ce livre.
« ... Ta forme veille et mes yeux sont ouverts. » L'expérience nous livre un fait surprenant que nous ne saurions ignorer ni taire ; c'est que la contemplation des formes naturelles, celles des sites, celles des pierres, celles des plantes ou celles des corps, nous est source de délectation. Cette délectation, nous en découvrons l'équivalent quand notre regard intérieur accueille les formes créées par notre artifice. Il se pourrait même que la nature touchât davantage la sensibilité de nos pareils lorsqu'elle s'avise de devancer ou de reproduire les ouvrages humains.
Pourquoi le monde est-il beau ?... Autant demander pourquoi il est intelligible. Pourquoi, lors d'heures élues, percevons-nous en lui de quoi satisfaire à notre attente ? Pourquoi cet accord, parfois déçu, mais plein parfois, entre l'âme et la terre ?
Ce livre n'oserait entreprendre de répondre à des interrogations qui, peut-être, sont liées de trop près à notre condition pour qu'il nous soit licite d'en décider sans enfreindre quelque obscure défense. Il ne se proposera d'autre visée que de joindre ses réflexions à celles de tous les esprits que sollicite le problème des formes vivantes. Dans la grotte où le Bouddha, dit-on, a laissé son ombre, qu'il nous suffise de pressentir une lueur, voire une présence.
Ce ne sont pas seulement les formes les plus communément visibles qui retiendront notre méditation, mais celles aussi qui se manifestent jusque dans l'anormal et jusque dans l'imaginaire. Ne savons-nous pas que la beauté dont semblent parfois gratifiées les créatures les plus rares et les plus insolites conduit souvent les âmes au plus loin et au plus haut d'elles-mêmes ? Un long cortège de monstres s'insinuera entre ces pages et nous voudrions qu'ils fussent aimés d'autrui comme ils nous furent aimables. Nous n'hésiterons pas, au surplus, à tenter de voir au-delà des formes présentes, dans l'avenir même promis à notre race. Tout est merveille à qui observe le réel d'un regard pur. La raison se refuse à n'être pas maintes fois outrepassée ou démentie. De quel prix serait un monde sans miracle et où ne paraîtrait pas quelque suprême liberté ? Ainsi les monstres nous mèneront aux dieux, le prodige au témoignage.
Que l'on ne s'attende pas néanmoins à trouver ici un « traité de morphologie normale et pathologique », fût-ce en ébauche. Tout dire serait trop dire et, en définitive, ne pas dire assez. L'auteur fait métier, par la recherche au laboratoire et par l'investigation clinique, d'étudier et d'enseigner les effets des sécrétions internes sur les structures et les comportements. Il ne s'abstient pas de soustraire à son métier le loisir de poursuivre dans les musées l'enquête commencée à l'hôpital. Aussi a-t-il choisi selon son humeur entre les thèmes où son expérience pouvait conseiller sa pensée. Il se garderait de croire toutefois que cette expérience suffit à garantir cette pensée des mirages et des bévues. (…)
Le réel, s'il est objet de contemplation, du même coup acquiert les attributs du beau.
C'est pourquoi, sans doute, dans toute existence contemplée il y a un principe de joie. Que notre vie touche à une autre vie, flamme, aile, graminée, ou décombre, ou visage, et nous saisit une ivresse, comme s'il se dissimulait au cœur de la création une inépuisable réserve de félicité dont chaque être détient et, par rencontre, libère une parcelle.
Exister, pour le plus humble fragment d'univers, c'est assumer une mission de beauté. Satisfaire son appétit de beauté dans l'attention à une existence étrangère, c'est, pour chacun, découvrir à sa solitude une réplique, c'est entendre à son silence une réponse. (…)
Signe, exemple, monument, mesure, la forme est merveille. D'elle naît le songe.
Il n'y a que les songes pour n'avoir pas de fin.
Sagesse et Délire des Formes, pp.10-12.